mardi 27 septembre 2011

Jour de dépassement de la dette écologique

L’humanité vit à crédit sur les ressources de la planète

Le Soir Rédaction en ligne

mardi 27 septembre 2011, 09:37

En neuf mois, les Terriens ont épuisé ce que la planète peut leur fournir en un an. La date symbolique du 27 septembre a été fixée par le think tank Global Footprint Network.

L’humanité vit à crédit sur les ressources de la planète

© EPA

Pour finir l’année, l’humanité en est donc réduite à vivre écologiquement à « découvert » et à puiser dans des « stocks » chaque année plus maigres. C’est-à-dire à pratiquer une pêche qui va entretenir la baisse des stocks de poissons dans les océans, à détruire plus d’arbres qu’elle n’en replante ou à rejeter plus de CO2 que ce que la planète ne peut absorber.

« C’est comme avoir dépensé son salaire annuel trois mois avant la fin de l’année, et grignoter ses économies année après année », explique dans un communiqué le président de Global Footprint Network, Mathis Wackernagel.

Une vie « à découvert » que les bientôt 7 milliards de Terriens – le cap devrait être franchi fin octobre selon les prévisions onusiennes – débutent chaque année un peu plus tôt : fin septembre, donc, en 2011, contre début novembre en 2000, en appliquant les calculs utilisés cette année.

Le « think tank » basé à Oakland (Californie) s’est fait une spécialité de calculer l’ « empreinte écologique » de l’humanité et la comparer avec ce que la Terre est en capacité de générer comme ressources renouvelables – sans toucher aux stocks – et d’absorber comme déchets.

Seuil critique franchi dans les années 70

Bilan de l’équation posée par l’organisation : si la Terre a été pendant très longtemps à même de répondre aux besoins des hommes sans s’épuiser, on a franchi un seuil « critique » au cours des années 70. Et depuis plus de 30 ans, l’humanité vit au-dessus de ses moyens et il faudrait en fait 1,2 à 1,5 Terre pour assumer aujourd’hui les besoins d’une population toujours croissante.

En 2010, un rapport du WWF avait mis en exergue les fortes disparités entre habitants de la Terre, qui consomment en fait 4,5 planètes et demie s’ils vivent aux Etats-Unis ou aux Emirats arabes unis mais moins d’une moitié s’ils vivent en Inde.

En arrêtant chaque année une date symbolique où l’humanité commence à puiser dans les ressources, le Global Footprint Network entend d’abord permettre de prendre conscience de cet écart grandissant.

« Mais il n’est pas possible, bien sûr, de déterminer avec une précision absolue le moment exact où nous dépassons notre budget. Ce jour où nous dépassons la capacité de la Terre est plus une date estimée qu’une date exacte », précise le think tank.

Même si l’application cette année de nouvelles méthodologies de calcul ne permet pas une comparaison directe avec les années précédentes, la tendance reste la même avec un épuisement croissant des ressources en dépit de la crise économique mondiale, selon l’organisation.

« Alors que nous cherchons à reconstruire nos économies, c’est le moment de se présenter avec des solutions qui resteront opérationnelles et pertinentes dans le futur », estime Mathis Wackernagel. « Une reconstruction à long terme ne peut réussir que si elle est conduite avec une réduction systématique à notre dépendance aux ressources. »

(AFP)

lundi 5 septembre 2011




La vie en slow

(édito d'André Ruwet, rédacteur en chef d'Imagine)

Comment déloger le libéralisme de nos esprits ? Sacré programme ! Surtout quand on a été nourri par cette philosophie de l’urgence, de l’angoisse, de la possession, de l’accumulation et de la compétition. Et si prendre son temps, danser sa vie en slow, était l’une des clés pour s’évader de ce modèle capitaliste ravageur ?



Plus le monde s’entête à vouloir aller vite – voyez les embouteillages partout – plus j’éprouve l’envie de ralentir. Les meilleurs moments de la vie, les plus riches, les plus profonds, les plus exaltants, les plus réellement productifs, ne sont-ils pas le plus souvent liés à la lenteur ? Durant les dernières vacances, ce furent pour moi le plaisir de marcher du pas mesuré du montagnard, ou celui de m’étendre pour la sieste dans les alpages, à suivre la valse lente des nuages dans le ciel ou celle, plus vrombissante, des myriades d’insectes dans le tapis de fleurs.

« Le meilleur moyen de ne pas perdre son temps… c’est de le prendre », pirouettait joliment Claude Marthaler, ce cycliste au long cours, lors d’une récente conférence à Liège. Il a passé l’essentiel de sa vie d’adulte à parcourir le monde en tous sens sur son « yak », comme il appelle affectueusement son vélo.

Vision court-termiste
et prédatrice du monde

Mardi 9 août 2011 : « En route vers la récession, le Bel 20 a perdu 15,57 % en un mois. Pas de krach boursier mais la panique reste générale sur les marchés du monde », titre Le Soir.

Mercredi 10 août : « L’Angleterre s’embrase. Face aux émeutes qui secouent la Grande-Bretagne depuis samedi, David Cameron a décidé de mobiliser 16.000 policiers pour mater la révolte », écrit toujours Le Soir sur cinq colonnes à la une.
Dans le même journal encore, à côté d’articles intitulés « Les bourses rebondissent » ou « Vive le last minute ! » (tiens donc !), on trouve une page sur « Les quartiers les plus chers du pays », où l’on apprend notamment que sur la digue du Zoute, à Knokke, le mètre carré vaut… 23.000 euros.

Mais, direz-vous, quel est le lien entre ces informations et pourquoi les relayer ?
Parce qu’avec d’autres, elles sont des échantillons récents de la composition de l’eau du bain idéologique dans lequel nous baignons ; parce qu’elles illustrent la vision court-termiste du monde qui caractérise la plupart des grands médias.

En effet, tous ces récits mettent en avant la possession et la consommation, tant pour ce qui concerne les bourses que les propriétés des millionnaires. Les vraies questions sur le sujet, que sont notamment la fin des paradis fiscaux et l’instauration d’une taxe dissuasive sur la spéculation financière, sont quant à elles généralement éludées. Précisons encore que le consumérisme frustré marque lui aussi clairement les violences urbaines en Angleterre qui sont, à leur manière, le revers de la même médaille : l’idéologie prédatrice.

Autre exemple, toujours dans Le Soir, on pouvait lire le 13 août un article dénonçant les conditions de travail des hôtesses chez Ryanair (très bien !), flanqué d’un édito expliquant notamment que le low cost est « une idée géniale, qui a bousculé tout le transport aérien européen ».

On croit rêver ! Ce texte faisait (mine de rien, mais c’est là le propre de l’idéologie) l’éloge de l’un des modèles industriels les plus ravageurs. A se demander si le journaliste qui a écrit ces lignes a jamais entendu parler de l’effet de serre et du pic pétrolier, dont les conséquences majeures dureront des siècles. Sans parler de la crise de l’emploi, qui affectera plus immédiatement les régions qui auront trop lié leur sort à ces compagnies low cost, au développement aussi spectaculaire qu’éphémère. Mais ce discours à la gloire de l’ultralibéralisme passe fort bien, tout simplement parce qu’il est conforme à la religion capitaliste dominante. Le problème : il anesthésie notre liberté de pensée !

Ne pas confondre « actu » et « info »

« A force de considérer l’urgence de l’immédiat, on finit par négliger l’urgence de l’essentiel », constate Edgar Morin. Nous vivons dans une époque qui privilégie le temps court. Depuis 200 ans, soit 0,003 million d’années à l’échelle des temps géologiques, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, appelée anthropocène, c’est-à-dire l’ère dont l’Homme est le « héros ». « En deux petits siècles, l’être humain a transformé la Terre comme jamais un volcan, un astéroïde ou la course de la Terre autour du Soleil ne l’a fait depuis des millions d’années, explique le glaciologue Claude Lorius (lire notre article en pages 28 et 29). La Terre est confrontée à quelque chose d’entièrement nouveau : la prolifération d’une espèce endémique et invasive dont l’influence a aujourd’hui transformé l’atmosphère, ravagé l’hydrosphère, décimé la biosphère et modifié la lithosphère. » L’anthropocène, c’est aussi l’histoire d’une accélération inquiétante. « Le monde décolle, l’industrie décolle, l’économie décolle, les avions décollent. C’est l’ère des grandes vitesses et des grandes dépenses d’énergie. (…) C’est Prométhée franchissant le mur du son », observe encore Lorius.

La question qui se pose est donc : comment ralentir et redescendre sur Terre ? En cette époque de communication immédiate et planétaire, l’une des pistes est d’essayer de faire la distinction entre «information» et «actualité». Dans l’actualité, un sujet chasse l’autre sans véritable hiérarchisation, sans que le citoyen puisse faire la part entre l’essentiel et l’enfumage.

Citons pêle-mêle au cours de ces derniers mois : la guerre en Lybie, les révoltes arabes, Fukushima, De Wever et la crise belge, le mariage de Kate et William (vu par trois milliards de téléspectateurs !), la famine dans la corne de l’Afrique, Ben Laden bien sûr, bientôt balayé par DSK… DSK, tiens, parlons-en : voilà le récit le plus médiatisé de ces dix dernières années ! On dépasse là tous les autres événements, catastrophes et guerres, attentats contre les tours du World Trader Center de septembre 2001 compris. Au-delà du fait qu’il s’agit d’un « cocktail vendeur » mélangeant sexe, célébrités, argent, politique, vie intime et relations entre les hommes et les femmes dans notre société contemporaine, la véritable explication à cette surchauffe médiatique est que nous consommons quantitativement davantage d’information par rapport à 2001. Trois écrans (l’ordinateur, le téléphone portable et les tablettes numériques) sont venus se rajouter à la radio, à la télévision et à la presse écrite [1]. Cela veut-il dire que nous sommes mieux informés ? Rien n’est moins sûr…

L’« actu », comme on dit en termes de presse, « balance » des sujets en continu à la tête du public. Elle est souvent fébrile, spectaculaire, sensationnaliste, marchande. Elle donne la priorité aux faits divers, flatte les instincts, réveille les peurs et entretient la polémique. Un exemple : alors que 95 % au moins de l’information scientifique sur l’effet de serre confirme le réchauffement, l’info-spectacle se révèle à l’examen climato-sceptique à 50 %. Si elle trouve normal de donner une telle place à un Claude Allègre ou à quelque sous-marin des lobbies du carbone, c’est à la fois pour se draper d’un voile d’« objectivité » et… pour animer de prises de bec les plateaux télé.

L’information respectueuse des citoyens est pour sa part plus posée et constamment en quête de sens. Elle n’est évidemment pas objective – l’objectivité est une chimère – mais elle est honnête. Elle cherche des clés utiles afin de mieux comprendre notre monde, afin d’avoir des moyens d’agir (au lieu de paralyser), individuellement et collectivement, et ainsi faire le lit du mieux vivre ensemble. Généralement, cette information de fond est plus lente, parce qu’avoir le nez hors du guidon permet tout simplement de voir plus loin et de se donner le temps de la réflexion.

Naissance d’une culture slow

« Vous devez être le changement que vous désirez voir dans ce monde », affirmait le Mahatma Gandhi. Et si, face au rouleau compresseur de l’idéologie libérale [2], on commençait par se mettre un peu au slow ? En opposition au fast and furious qui trop souvent donne aujourd’hui le ton, l’émergence d’une culture slow peut constituer une piste pour des changements notables de comportements.
Discret, le mouvement slow existe depuis de nombreuses années. Il touche à de multiples domaines de la vie en société. Le plus connu est bien sûr le slow food, aussi appelé écogastronomie. Fondé en Italie en 1986, il s’est répandu dans une centaine de pays et compte quelque 100.000 représentants.
Ses objectifs : promouvoir la cuisine régionale et de qualité, la diversité des espèces animales et végétales. Mais le mouvement slow touche aussi au jardinage, à l’argent, aux villes (les cittaslow), aux voyages, aux arts, à l’éducation, à la mode, aux logiciels, aux relations sexuelles… et bien sûr aux médias [3] Imagine, qui fête ses 15 ans en ce mois de septembre 2011, a le plaisir de se revendiquer comme organe de slow press !

«Le mouvement slow est une révolution culturelle, estime Carl Honoré, journaliste canadien et écrivain, auteur d’un Eloge de la lenteur, ouvrage traduit dans 20 langues [4]. Le slow est sûrement le mouvement le plus moderne qui existe aujourd’hui. Souvent, vous commencez à ralentir dans un domaine de votre vie et c’est le début d’un changement profond dans tous les autres domaines [5].»

Contrairement à la vitesse, qui nous entraîne pour nous perdre dans le global, le slow nous rapproche du local, du quotidien, de notre propre créativité, qu’elle soit manuelle ou relationnelle.

Et si, fuyant les gadgets, les bidules-machins-bazars et autres attrape-nigauds que s’acharne à nous fourguer le supermarket mondial, le slow était un moyen de vivre en bonne intelligence avec la (sa) nature ? Au jardin, à vélo, dans la marche à pied, dans la contemplation, la cuisine, les repas pris en commun, le travail bien fait, la lecture, la musique que l’on joue, les relations que l’on tisse… dansons, avec un plaisir retrouvé, tous les slows possibles de la vie !

André Ruwet



[1] Sur Twitter, par exemple, on comptait 150 tweets (gazouillis de phrases sibyllines de 140 signes maximum) transmis par… seconde le 20 mai, au moment où DSK passait pour la première fois devant le tribunal à New-York.

[2] Lire notre dossier de couverture, p. 10 à 20, où une série de pistes concrètes sont proposées.

[3] Voir sur wikipedia.org.

[4] Marabout, 2007.

[5] Interview à DDmagazine.com.